About the Book
Extrait du chapitre I La cloche du bagne venait de sonner le repos de midi. Les chiourmes de la grande fatigue cherchaient l'ombre, car le soleil de juin flamboyait sur Toulon. Les uns s'étaient réfugiés sous la carène d'un vieux navire, les autres se mettaient à l'abri derrière des poutres de bois de construction. Quelques-uns, bravant la canicule, se couchaient à plat-ventre sur le sol brûlant de l'Arsenal. D'autres encore se promenaient silencieux, deux par deux, rivés à la même chaîne d'infamie. - Cent dix-sept, dit une sorte de géant au visage hébété, aux épaules herculéennes, je te joue les maillons de ma portion de chaîne en cinq points d'écarté. - Soit, répondit un homme jeune encore, à la taille bien prise, aux mains aristocratiques, au visage dédaigneux et fier. Le colosse continua: - Tu veux dormir, moi je veux aller sous la carène écouter les histoires de M. Cocodès, comme l'appellent les camarades. Si tu gagnes, je te laisserai dormir; si tu perds, tu viendras écouter les histoires. Le Cent dix-sept, qui ne parlait presque jamais, fit un signe de tête approbateur, et tous deux s'assirent sur une poutre, à longueur de chaîne. Le géant tira de son bonnet un jeu de cartes graisseuses et le plaça devant lui. - À qui fera ? dit-il. Et il amena un valet. Cent dix-sept eut une dame et donna. Le géant marqua le roi et fit la vole. Cent dix-sept ne souffla mot et son visage n'exprima qu'une parfaite indifférence. Au coup suivant, le géant marqua le point et dit avec joie: - Quatre à rien ! Cent dix-sept ne sourcilla point; mais il tourna le roi à son tour, fit la vole, et en deux coups la partie fut gagnée. Puis, comme le géant avait une mine piteuse, il lui dit simplement: - Veux-tu ta revanche ? L'oeil atone du forçat eut un rayonnement; un large sourire vint épanouir son visage bestial, et il dit à Cent dix-sept: - Tu es un bon enfant... merci ! La partie recommença et le géant perdit encore. - Je n'écouterai pas les histoires de Cocodès, murmura-t-il avec résignation. Le forçat qu'on ne désignait au bagne que sous le nom de Cent dix-sept s'allongea alors sur la poutre et ferma les yeux. Le colosse, qu'on appelait dans la chiourme du nom de Milon, demeura assis, jetant un regard d'envie sur la demi-douzaine de couples abrités sous la carène, comme sous une tente; puis, pour passer le temps, il se mit avec son jeu de cartes à se faire des réussites.
About the Author: Pierre Alexis, Joseph, Ferdinand, vicomte de Ponson du Terrail, né le 8 juillet 1829 à Montmaur et mort le 10 janvier 1871 à Bordeaux, est un écrivain populaire français et l'un des maîtres du roman-feuilleton. Il est célèbre pour son personnage Rocambole. Il a écrit 200 romans et feuilletons en vingt ans. Pierre Allexi Joseph Ferdinand de Ponson nait à Montmaur dans la propriété de campagne de son grand-père maternel Pierre Toscan du Terrail le 8 juillet 1829 de Noble Ferdinand Marie de Ponson et de Marie Suzanne Bénédicte Toscan du Terrail. Ses parents étaient alors domiciliés à Simiane d'où étaient originaires les Ponson. Son arrière-grand-père, côté maternel, Jacques Toscan du Plantier, notaire à Montmaur, est par ailleurs l'ancêtre de Daniel Toscan du Plantier. Il fut élève au collège d'Apt de 1838 à 1844. Ponson du Terrail commence à écrire vers 1850. Ses premiers textes s'inscrivent dans la tradition du roman gothique. Par exemple, son roman La Baronne trépassée (1852) est une histoire de vengeance située autour de 1723 dans la Forêt-Noire. Il s'agit, dans la même veine que La Ville vampire de Paul Féval, d'une parodie des histoires de vampires. Pendant plus de vingt ans, il fournira en feuilletons toute la presse parisienne (L'Opinion nationale, La Patrie, Le Moniteur, Le Petit Journal, etc.). Écrivant très vite et sans se relire, il parsème ses romans de phrases fantaisistes. C'est en 1857 qu'il entame la rédaction du premier roman du cycle Rocambole (cycle parfois connu sous le titre Les Drames de Paris) L'Héritage mystérieux, qui paraît dans le journal La Patrie. Il vise principalement à mettre à profit le succès des Mystères de Paris d'Eugène Sue. Rocambole devient un grand succès populaire, procurant à Ponson du Terrail une source de revenus importante et durable. Au total, il rédigera neuf romans mettant en vedette Rocambole. En août 1870, le romancier vient d'entamer la rédaction d'un nouvel épisode de la saga de Rocambole lorsque Napoléon III capitule devant les Allemands. Fidèle à l'image du chevalier Bayard, il quitte Paris pour Orléans, où il forme un corps de francs-tireurs. Mais il est vite obligé de s'enfuir à Bordeaux, les Allemands ayant incendié son château. Il meurt à Bordeaux en 1871, laissant inachevée la saga de Rocambole. Il est enterré au cimetière de Montmartre à Paris. Ponson du Terrail en Orléanais